Art de la Renaissance en Val de Loire

inventaire, valorisation et analyse

Vitrail de l'église Saint-Vincent de Cour-sur-Loire - baie 6

CARTEL

Artistes
Date de réalisation
≈ 1500 - 1519
premier quart du XVIe siècle
Iconographie
  • Vierge à l'Enfant
  • Arbre de Jessé
Matériaux
Verre, Peinture, Plomb
Dimensions
hauteur = 4.5 m, largeur = 2.5 m
Lieu de conservation
  • Cour-sur-Loire, Centre-Val de Loire, France
    église Saint-Vincent

 

Vitrail de l'église Saint-Vincent de Cour-sur-Loire - baie 6

NOTICE

Composée de trois lancettes trilobées et d'un tympan à sept ajours, cette verrière a probablement été offerte par Jacques Hurault ou/et son fils Raoul ou son fils cadet Jacques, avant 1520. Le style, l’iconographie et l’étude de la peinture rattachent ce vitrail au groupe constitué par les baies 2 et 5.

Ce vitrail fut restauré au cours de la première campagne de travaux, en 1886, par le cartonnier A. Steinheil et le peintre verrier A.-L. Bonnot, et photographié avant sa restauration (MAP, cliché MH 6261). Déposé en 1944, il fut remis en état par le peintre verrier Jean-Jacques Gruber entre 1946 et 1950 et remonté en 1950. Seuls les panneaux des lancettes sont authentiques, à l’exception du panneau 2 a, remplacé au XIXe siècle par un pastiche de la main des restaurateurs. L’examen de la photographie avant restauration (MAP, cliché MH 6261) révèle que les ajours du tympan et les têtes de lancettes, déjà ruinés au XVIIIe siècle, avaient été remplacés par des macédoines. On distingue dans l’ajour central du tympan, des fragments d’une Vierge à l’Enfant debout, sans doute liée au culte de l’Immaculée Conception. En faveur de cette interprétation, rappelons que subsistent encore dans l’un des ajours de la baie 1 de menus morceaux d’une gloire rayonnante (Orléans, Inventaire du Centre, cliché Marius Hermanowicz, 1996, n° 96. 41. 1. V, 2 VA.) qui pourraient avoir appartenu à la baie 6. Ces fragments, ainsi que le réseau des plombs de l’ajour quadrilobé de la baie 6, permettent d’imaginer que la Vierge se tenait debout sur le croissant, au sein d’une gloire de rayons ondulants, selon les représentations conventionnelles de ce thème. Bien qu’appropriée iconographiquement, cette figure ne semble pas, pour des raisons d’ordre stylistique, avoir fait partie de la composition d’origine. La verrière a-t-elle été achevée plus tard, par un autre verrier, ou restaurée après 1562, date du siège de l’église par les huguenots et de la mort de Jean Hurault ? S’il est impossible d’analyser la peinture, ces panneaux ayant disparu à la suite des restaurations du XIXe siècle, en revanche des différences évidentes se révèlent dans le traitement des drapés et des anatomies. Ainsi, la suggestion de contrapposto sous la robe de la Vierge s’effectue grâce à des plis cassés très sommaires, indiqués par deux traits courbes doublés d’un enlevé continu au petit bois. Le rendu anatomique du corps de l’Enfant Jésus est hérité des modèles renaissants, ainsi l’indication de la linea alba, du thorax, des pectoraux, etc. Cette esthétique est étrangère à celle de l’Arbre de Jessé d’origine. Ce style n’est plus représenté dans les panneaux qui subsistent à Cour-sur-Loire, y compris les macédoines. On le retrouve cependant dans de nombreux fragments disparus, dont témoignent les photographies avant restauration (cf. baie 10, soufflet de gauche, et ajour cordiforme sommital ; baie 8, angle inférieur droit  du panneau 4 c ; baie 12, ajour cordiforme supérieur). Il révèle l’usage de modèles issus du maniérisme italien par le peintre verrier appointé à Cour-sur-Loire dans les années 1540-1500.

Demeurée dans un assez mauvais état de conservation, la verrière est menacée par différents processus d’altération. Des micro-organismes sont visibles sur la barbe et la main droite de Jessé. Les verres se déchaussent, tel le phylactère de Manassès, ou le feuillage vert sous le phylactère d’Achaz. Le verre blanc présente des traces de corrosion. La grisaille s’efface par endroits : la cape d’Achaz, le visage de Zorobabel, en témoignent. Les bleus, salis et corrodés, paraissent plus sombres qu’ils ne sont en réalité.

Le tympan du vitrail est un pastiche composé en 1846 par le cartonnier A. Steinheil et le peintre verrier A.-L. Bonnot. L'ajour central met en scène une Vierge à l'Enfant, tandis que les mouchettes et les ajours secondaires présentent un réseau de feuillage complétant le motif de L’Arbre de Jessé développé dans les lancettes. L’Arbre de Jessé se développe à la faveur d’une organisation d’ensemble qui, sans nier les divisions de la baie, sait en tirer parti pour créer un champ unitaire en même temps qu’une composition hiérarchiquement ordonnée. Les rois s’échelonnent sur deux registres, à raison de deux par degré, l’un étant légèrement décalé par rapport à l’autre. Leurs attitudes, et parfois leurs regards, sont choisis en fonction de la lancette centrale où se tient Jessé, assis sur un trône évoquant une cathèdre. Le caractère hétéroclite du vocabulaire ornemental de ce siège, consoles, tresses, demi-colonnes supportées par des piédestaux, pieds de chimères, losanges inscrits dans des encadrements rectangulaires moulurés, est caractéristique de la Première Renaissance. Un souci de symétrie préside à la composition. Ainsi, Salomon et Amos se font-ils face et se répondent-ils d’une lancette à l’autre, sans toutefois être absolument identiques. S’il y eut retournement d’un même carton, celui-ci fut sensiblement modifié afin d’introduire quelque variété dans les attitudes et les costumes. Dans cette composition où les courbes dominent, les sceptres et les lances des rois apportent le dynamisme de quelques obliques. A. Steinheil et A.-L. Bonnot ont bien compris la logique de cette composition, en poursuivant dans le panneau 2a ce jeu de miroirs et cet échelonnement, plaçant un roi dans chacune des têtes de lancettes latérales, où ils étaient annoncés par leurs phylactères encore intacts (Josaphat et Ezéchias). Si les attitudes sont choisies en fonction de l’organisation plastique de l’ensemble, en revanche, les regards ne convergent pas tous vers Jessé, ou même vers le centre : Josias, Manassès et Achaz lèvent la tête, comme pour pour contempler l’image de l’Immaculée et du Sauveur, qui devait, ainsi que l’ont bien compris Steinheil et Bonnot, occuper le quadrilobe central du tympan. La tige de Jessé se divise et s’épanouit en corolles d’où émergent les torses des rois. Leurs noms s’inscrivent en lettres majuscules romaines sur des phylactères teintés à la grisaille et au jaune d’argent. Ceux de Josias, Asa et Salomon ont été inventés au XIXe siècle par Steinheil selon une méthode inductive. Des feuillages trilobés peints à la grisaille sur verres verts se détachent sur le fond blanc uni. Éléments de costume propres à la fin du Moyen Âge et accessoires antiquisants caractérisent ces personnages : les pourpoints et les robes fourrées voisinent avec les cuirasses à l’antique, les casques d’acier, les bottes collantes à revers. Le turban d’Amos ajoute à ce mélange dans l’esprit de la première Renaissance une note d’exotisme. Les attitudes recherchées, multipliant les raccourcis, soucieuses de rendre la tridimensionalité des corps et leur déploiement dans l’espace, enfin, les multiples directions pointées par les regards et les têtes, souvent en contradiction avec l’orientation des bustes, trahissent une certaine ambition de la part de l’auteur du carton, qui concilie aisément tradition et nouveautés ultramontaines. Le fond blanc, sans damas, obtenu grâce au blaireautage d’un léger lavis de grisaille sans pigment, destiné à opacifier légèrement le verre, a suggéré des comparaisons avec d’autres Arbres de Jessé de même coloris, celui d’Autun en particulier, offert par le chanoine Celse Morin en 1515 (Recensement III, Les vitraux  de Bourgogne, Franche-Comté et Rhône-Alpes, Paris 1986, p. 89-90 ; Dr. Lesueur, ADLC, F 2137, notes éparses). Hormis des similitudes de coloris et de détail (noms des rois), les deux vitraux sont très différents et ne relèvent pas d’un même patron à grandeur. L’hypothèse de la commande, à Autun, d’une « œuvre à la semblance de » est fortifiée par le fait que la chapelle Saint-Celse d’Autun ait été consacrée par l’évêque Jacques Hurault en 1515.

L’Arbre de Jessé est la verrière où l’on trouve le plus de raffinements techniques. Steinheil et Bonnot en comprirent parfaitement l’esprit et s’en inspirèrent pour leurs restitutions, en multipliant les verres gravés (chapeaux de David et de Josaphat). Les seuls en partie authentiques cependant sont ceux des chapeaux de Roboam et d’Achaz. Un verre précieux, dit « vénitien », blanc rayé de rouge et rehaussé de jaune d’argent, doit être signalé. Le jaune d’argent est  employé dans toute sa gamme, du jaune pâle (chaîne d’or de Manassès, bordures des phylactères, rameaux de l’Arbre) au jaune doré, rehaussé de grisaille rousse sur la face interne, ainsi pour la tige de Jessé. Il est parfois terni d’un lavis de grisaille brune que l’on enlève parcimonieusement, comme dans la ceinture d’Achaz ou l’oreillette d’Asa, pour créer des lumières évoquant le scintillement des objets d’or. Il est également appliqué sur verre bleu, comme en témoignent le pourpoint et la robe d’Amos. La seule découpe un peu virtuose est celle du chapeau de Zorobabel. Il exista à l’origine de très grandes pièces : si l’on fait abstraction des plombs de casse, deux pièces suffirent à dessiner la robe de Jessé, tandis que quatre larges surfaces de verre rose servirent à construire le trône. Pour rendre le dessin des damas, deux techniques ont été utilisées : l’une, à base de pochoirs et d’enlevés, a servi pour la robe de Zorobabel. Ce motif, très effacé, exécuté sur la face externe du verre, est presque invisible à l’œil nu. L’autre fut tracé au petit gris sur la robe de Jessé. Les broderies de la manche de Salomon, les rinceaux  qui parsèment le pourpoint de Roboam, le damasquinage du fourreau de Salomon, peint de menus motifs, ont été prestement exécutés à main levée.


Sources graphiques :

Charenton-le-Pont, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine (MAP)

Arch. phot. de la Dir. du Patr., cliché MH 6261 (av. rest., Durand, 1884, tirage à la photothèque, « cartons verts », vitraux, Loir-et-Cher) - Photomontage panneau par panneau, apr. rest., 1950, Estève, (Baie C), clichés 213 818-822, tirages à la MAP, Paris - reproduction de ce photomontage, 55 N 70 (Graindorge, 1955) .

Blois, Archives départementales de Loir-et-Cher

Fonds Lesueur, plaques de verre, s. d., vers 1919-22,  9 Fi 2311 P.

Orléans, Inventaire du Centre

Marius Hermanowicz, 1996 : 96. 41. 11 V, 12 VA.

Sources manuscrites :

Paris, Bureau des objets mobiliers (en 1995)

Lettre de Henri Bretonneau, 22 mars 1846. 

Charenton-le-Pont, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine (MAP)

Dossiers de restauration 1200 1 et 2, et dossier « contrôle des travaux » n° 4049.

4° DOC 8, RAYON (E.), Inventaire des vitraux du Département de Loir-et-Cher, 1924, pl. 28 / 258 à 29 / 259.

Blois, Archives départementales de Loir-et-Cher

9 T 14, Cour-sur-Loire, et O 69 0 6 3.

74 N I, enquête diocésaine, 17 mars 1846.

F 2137, fonds Lesueur, Dr. Frédéric LESUEUR, monographie de l’église de Cour-sur-Loire, Manuscrit. s.d., vers 1919-1922, p. 27-30.

Bibliographie :

Laurand Jules, « Vitraux de Cour-sur-Loire » Bulletin de la Société Archéologique de l’Orléanais, tome II, bull. n° 16, 1er trimestre, séance du 27 janvier 1854, p. 21.

Dupré Alexandre, s. d., vers 1868-69, Ms. B.M. Blois 339 11d.

Garreau abbé L.E., Cour-sur-Loire, son église, sa châtellenie, son histoire, Paris, Honoré Champion, 1913, p. 6-7.

Deshoulieres François, « Cour-sur-Loire », Congrès Archéologique 1925, LVXXXVIIIe session, Paris, A. J. Picard, 1926, p. 538-539.

Pilté Edmond, Répertoire archéologique des édifices religieux du diocèse actuel de Blois et des Monuments civils du département de Loir-et-Cher à partir du Moyen Âge, Saint-Dizier, A. Bruliard, 1931, p. 90.

Lesueur Dr. Frédéric, Les églises de Loir-et-Cher, Paris, A. J. Picard, 1969, p. 143.

Les Vitraux du Centre et des Pays de la Loire : Corpus vitrearum, France, recensement des vitraux anciens de la France, 2, sous la dir. de Louis Grodecki, Françoise Perrot et Jean Taralon, Paris, CNRS, 1981, p. 142.

Riviale Laurence, Les verrières de l’église paroissiale Saint-Vincent de Cour-sur-Loire (Loir-et-Cher), Mémoire de maîtrise d’histoire de l’art moderne, sous la dir. de Claude Mignot et Michel Hérold, Tours, Université F. Rabelais, [1996], p. 68-72 et 126-128.

Sources en ligne :

https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00098426

https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/palissy/PM41000175


Par Laurence Riviale Le 20.01.2021