Les verriers ont joué un rôle très important dans l'histoire de l'art à Bourges au Moyen Âge et à la Renaissance. Le diocèse comptait environ huit cents paroisses, et si l'on ajoute les abbayes, les couvents et les chapelles, on dépasse le millier d'établissements religieux, dont la plupart étaient dotés de vitraux. Sauf un cas à Sancerre et peut-être un autre à Dun-sur-Auron, on n'a pas signalé d'ateliers de verriers hors de la capitale provinciale.
La question des vitraux civils est moins bien connue, mais on sait du moins que les chapelles des châteaux étaient vitrées, que l'hôtel des Échevins de Bourges fit appel régulièrement à des verriers, et que des maisons riches possédaient des verres peints, comme la galée du palais Jacques-Cœur, seule subsistante d'un ensemble très fourni, ou les rondels conservés au musée du Berry. Il y avait donc un large marché.
La matière première - le verre - était, au moins pour partie, produite sur place. Plusieurs verreries sont en effet mentionnées dans la région (Four Philippe, etc.), même si on ne possède pas de documents les décrivant. Enfin, Bourges comptait nombre d'artistes capables de dessiner les cartons de vitraux, comme de réaliser des peintures murales, des tableaux, des enluminures, des modèles de tapisseries ou de broderies.
La confrérie des peintres verriers, auxquels les peintres s'agrégèrent, fut (ré)organisée en 1618, mais des indices suggèrent qu'elle existait déjà au XVIe siècle. Des vitraux bien plus anciens sont conservés à Bourges, depuis la fin du XIIe siècle à la cathédrale. On ignore si les très belles verrières du XIIIe siècle de cet édifice ont été réalisés par des ateliers locaux, car on ne dispose pas de mentions de verriers avant que les sources ne nous fournissent les noms des artistes au service du duc Jean de Berry, au tournant du XVe siècle : Henriet de Comines, Bertaut Tarin, ce dernier encore attesté au milieu du siècle.
À partir de cette époque, les documents d'archives de plus en plus nombreux nous fournissent des noms, qui se multiplient rapidement. Ils ne peuvent cependant être mis en regard d'œuvres, à l'exception des travaux de Jean Lécuyer dans la première moitié du XVIe siècle, ce qui est extrêmement frustrant. On dispose donc de deux sources parallèles, des œuvres d'un côté1, et des noms d'artistes de l'autre2, qu'il n'est pas possible, le plus souvent, de mettre en relation.
S'il fut probablement fait appel à des artistes extérieurs pour certaines réalisations majeures, on sait par les sources archivistiques que des ateliers ont fonctionné à Bourges pendant plusieurs décennies chacun, de père en fils ou de maître à élève (« valet »). Ainsi en fut-il de la famille Labbe : Jean Labbe dit de Vournay est cité en 1442-1444. En 1465, Jean et André Labbe livraient des « voirres » à la Grosse Tour de Bourges. À Jean Labbe, mort en 1468, succéda son fils Jean, à la fois verrier et marchand de verre. Attesté à partir de 1479, Guillaume Labbe céda par son testament en 1497 à son « varlet » Jean Joing ses outils et ses patrons de papier. Ce dernier apparaît comme verrier dans nombre de documents du premier tiers du XVIe siècle, et peut-être passa-t-il la main à son fils. On relève ici le cas d'un atelier qui s'est prolongé pendant un siècle.
Un autre atelier peut être suivi sur une durée analogue, de génération en génération, depuis Hannequin Roddebert, peut-être venu des Pays-Bas, cité en 1462 et mort en 1483, en passant par son gendre Michau Dayda, puis le fils de celui-ci, Guillaume Dayda, et jusqu'au fils de ce dernier, Robert, né vers 1509 et encore en activité en 1559. On note donc un siècle d'activité continue. Et cette fois, on possède, à défaut d'œuvres, des mentions de commandes effectuées pour la cathédrale et pour d'autres églises, ou pour la Ville, commandes de vitres et de peintures murales, qui montrent bien l'imbrication des métiers. Si les Labbe sont connus seulement par des rôles de taille et des censiers, les Roddebert/Dayda peuvent être approchés par les commandes, à défaut des œuvres, et on devine qu'il s'agissait de verriers réalisant des vitraux de qualité.
On notera également la longévité, certes moindre, de l'atelier Arnault : Pierre, né vers 1504, puis son fils Jean, attesté jusqu'en 1576. Pierre fut verrier de la cathédrale après Guillaume Dayda et avant Jean Lécuyer, lequel épousa une Thiennon Arnault, certainement membre de la même famille.
Jacques Meignan, père et fils, sont abondamment documentés, mais, portant les mêmes nom et prénom, difficiles à distinguer. Le père, cité dès 1493 lors d'une entrée royale, devint peintre de la Ville en 1505, succédant à Jacquelin de Montluçon. Le fils, qui lui succéda dans les mêmes fonctions, travaillait encore en 1563. Ce sont de bons exemples de ces artistes polyvalents, à la fois peintres et verriers, occupés à des travaux municipaux variés et souvent secondaires, mais aussi dans les églises. En 1563, la veuve du peintre Jacques Guyard, Péronnelle Meignan, vendit les outils de verrier de son mari à Jacques Meignan, avec lequel était certainement en famille. Peut-être étaient-ils liés au Louis Meignan, maître vitrier à Paris à la même époque.
À côté de ces dynasties, on rencontre beaucoup de noms isolés. Si on ne sait absolument rien sur Henri Mellein, contemporain de Jacques Cœur d'après un ouvrage du XVIIe siècle, et qu'on a supposé proche de celui-ci, Jean Destoc ou Delestoc, mort avant 1484, a peut-être joué un rôle important à la même époque, travaillant notamment pour la famille de Bar, des proches de l'Argentier.
D'autres noms apparaissent peu après, car les papiers municipaux ont été presque intégralement conservés à partir du grand incendie de 1487, comme ceux de Guillaume des Ars, Pierre Guillon, Petitjean, Geoffroy de Treffou, Jean Richier dit d'Orléans, ces trois derniers également signalés comme peintres, Jean Danjou alias Riffault, Lambert Anthoine, Jean Rougeault, Antoine Odeny...
On en sait un peu plus sur Nicolas Rondet, auteur notamment d'un « panneau à histoires et à riches couleurs » pour l'hôtel des Échevins en 1507, mais aussi des « patrons des histoires des portails de la tour » Nord de la cathédrale en 15133, c'est à dire des sculptures. Il ne fait probablement qu'un avec le Nicolas Rondel, verrier, que l'on rencontre un peu plus tard à Paris, et dont l'épouse était berrichonne.
De même, on a repéré un acte signé de Nicolas Droguet en 1501 à Bourges, avant qu'il soit remarqué à Lyon, et surtout à Saint-Nicolas-de-Port en Lorraine, où il réalisa une série de vitraux encore existants. L'œuvre de Guillaume Augier, né vers 1496, est également mieux connue, du moins ses enluminures pour le seigneur de Quantilly Jacques Thiboust ; il était peintre de miniatures ; il est également cité pour avoir mis en couleurs des sculptures ou encore dressé des plans comme celui d'Ivoy-le-Pré conservé aux Archives du Cher.
En revanche, d'autres verriers du XVIe siècle ont laissé moins de traces, comme Jean Coffin, Jean Fournier, Pierre Jollyet, Hugues Duperrin, Pierre Fourest, François Macé, Jean Radix, Claude Guyart, Jacques des Brosses, Pierre Lalemant, Hugues Bedu, Étienne Bernard, Pierre Flamant, Guillaume Millet... Cette énumération, incomplète, témoigne du moins de leur nombre.
Mieux documenté, et surtout ayant la chance que plusieurs de ses œuvres aient été conservées et identifiées, Jean Lécuyer, né vers 1500 à Paris, et mort à Bourges en 1556, est considéré comme un des meilleurs verriers français de la première moitié du XVIe siècle. Ses travaux sont visibles dans la cathédrale de Bourges (chapelles Tullier et Coppin) et à l'église Saint-Bonnet (vitraux de Saint-Jean l'Évangéliste, de saint Claude, de la Résurrection), et d'autres ont été attribués à son atelier, ou subsistent seulement sous forme de fragments comme à La Châtre. Des dessins de sa main ont été découverts récemment (projet de vitraux pour l'église Saint-Jean-des-Champs4 et de saint Claude5), qui prouvent que le verrier, comme l'atteste d'ailleurs la documentation, n'était pas un simple exécutant, mais un artiste peintre, verrier, et également qualifié d'enlumineur6. Sa technique est remarquable, par l'emploi de la grisaille « témoignant de la recherche d'un fondu, d'un « sfumato » adapté au vitrail », d'après Michel Hérold, « servie aussi par des coupes incroyablement virtuoses »7. Cette capacité à utiliser des supports si différents semble avoir été partagée par la plupart des artistes de Bourges aux XVe et XVIe siècles, travaillant aussi bien sur verre que sur bois ou sur toile, réalisant des peintures murales comme des enluminures, des cartons de tapisseries et de broderies comme des dessins de sculptures, qu'ils peignaient également, sans compter les nombreuses participations aux festivités municipales ou religieuses, et aux entrées royales. Certains sont même dits peintres et sculpteurs. Seuls quelques enlumineurs comme Jean Colombe paraissent attachés exclusivement à leurs manuscrits - mais Jacquelin de Montluçon réalisa des modèles que des verriers exécutèrent à l'hôtel des Échevins. Brigitte Kurmann-Schwartz considère que les verriers occupaient une place centrale8. Du moins comptaient-ils parmi les principaux artistes des XVe et XVIe siècles.
1Les Vitraux du Centre et des Pays de la Loire : Corpus vitrearum, France, recensement des vitraux anciens de la France, 2, sous la dir. de Louis Grodecki, Françoise Perrot et Jean Taralon, Paris, CNRS, 1981 ; L'art du peintre-verrier : vitraux français et suisses, XVIe et XVIIe siècle, catalogue de l'exposition sous la dir. de Françoise Gatouillat et Guy-Michel Leproux, Bourges, Le Parvis des Métiers, 28 mai-28 décembre 1998, Bourges, Chambre des Métiers du Cher, 1998.
2Goldman Philippe, « Les artistes de Bourges, 1450-1560 », Cahiers d'Archéologie et d'Histoire du Berry, n°219, décembre 2018, p. 3-50.
3Hamon Étienne, Un grand chantier de l'époque flamboyante : la reconstruction de la tour nord de la cathédrale de Bourges, thèse d'École des Chartes, Paris, 1999.
4Leproux Guy-Michel,« Un projet de vitrail de Jean Lécuyer pour l'église Saint-Jean-des-Champs », Revue de l'Art, n°183, 2014-1, p. 55-58 ; dessin conservé à l'ENSBA de Paris, Inv. M 1337.
5Cordellier Dominique, « Un dessin de la verrière de saint Claude de Jean Lécuyer », Peindre à Bourges à la Renaissance, sous la dir. de Frédéric Elsig, Milan, Silvana editoriale, 2018, p. 205-215 ; dessin conservé à Dresde, Staatliche Kunstammlungen, Kupferstich-Kabinett, Inv. C 586.
6Villa Rafael, « Jean Lécuyer, bilan historiographique et nouvelles observations », Peindre à Bourges à la Renaissance, sous la dir. de Frédéric Elsig, Milan, Silvana editoriale, 2018, p. 189-203.
7Hérold Michel, « Jean Lécuyer », Le Berry de la Renaissance, sous la dir. de Philippe Goldman, Xavier Laurent et Jean-Pierre Surrault, Châteauroux, Bouinotte édition, 2019, p. 120-123.
8Kurmann-Schwartz Brigitte, « Vitraux commandités par la Cour, le vitrail et les autres arts, ressemblances et dissemblances », Hofkultur in Frankreich und Europa in Spätmittelalter, 2005, p. 161-182.
Pour citer cet article
Référence électronique
Philippe , Goldman, "Philippe Goldman : Les verriers de Bourges à la Renaissance", Portail-CESR Arviva Art de la Renaissance en Val de Loire, [en ligne], 2022, https://arviva.univ-tours.fr/projets/publications/a-la-loupe/7_philippe_goldman_les_verriers_de_bourges_a_la_renaissance