Art de la Renaissance en Val de Loire

inventaire, valorisation et analyse

Adèle Rellier : Les verrières de protection : une méthode efficace et durable de conservation préventive des vitraux in situ 1

Adèle Rellier, Laboratoire de recherche des monuments historiques

Dans le domaine du vitrail, il existe un procédé de conservation préventive efficace et durable : la verrière de protection. Cette nouvelle verrière est positionnée dans l’ouverture de la baie et le vitrail ancien est installé à quelques centimètres, à l’intérieur de l’édifice. Ce dispositif permet de protéger le vitrail ancien, sur ses deux faces, de la condensation, des phénomènes météorologiques, des polluants atmosphériques et du vandalisme.

Le principe de fonctionnement est simple. Alors que la verrière de protection sert de clôture étanche de l’édifice, une ventilation est aménagée autour du vitrail grâce à des ouvertures en partie haute et basse. Une distance minimale de 3,5 cm entre le vitrail et la verrière est indispensable pour permettre à l’air présent à l’intérieur de l’édifice de circuler entre les deux parois vitrées. L’air étant à la même température des deux côtés du vitrail, le phénomène de condensation se fait non plus sur le vitrail mais sur la verrière de protection, équipée à sa base de conduits d’évacuation d’eau.

Le vitrail peut être positionné de deux façons différentes : soit il est avancé vers l’intérieur de l’édifice et la verrière de protection est installée à l’emplacement originel du vitrail, soit il reste à sa place et la verrière est reculée vers l’extérieur. Esthétiquement, le dispositif peut prendre différents aspects suivant le modèle de verrières choisi.

Il existe trois modèles principaux : le verre blanc ou incolore posé en grandes plaques, le verre incolore/blanc mis en plomb, avec la même technique et à l’image du vitrail et le verre thermoformé, réplique parfaite réalisée en partant de l’empreinte de la face externe de chaque panneau constituant le vitrail. Le choix du modèle est purement esthétique et n’influe pas sur le fonctionnement du dispositif.

Alors qu’en Allemagne et au Royaume-Uni, les verrières de protection sont déjà utilisées depuis le milieu du XIXe siècle (sur les cathédrales d’York et de Cologne), elles commencent à être utilisées en France à partir des années 1980. Les premières verrières de protection de France, posées sur l’église Sainte-Jeanne-d’Arc de Rouen, datent de 1979. Quant à la première cathédrale à bénéficier de tels dispositifs, il s’agit de celle de Coutances, en 1982.

Au fil des années, il est de plus en plus facile d’analyser avec un vrai recul l’efficience de cette méthode. Le projet européen « VIDRIO » (2002-2005) a permis de valider l’efficacité des verrières de protection en évaluant les systèmes mis en place à la Sainte-Chapelle de Paris, à la basilique Saint-Urbain de Troyes et à la cathédrale Saint-Pierre de Cologne. Aujourd’hui le Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques (LRMH) mène un projet baptisé « Recensement des Vitraux avec Verrières de protection » (ReViVe), destiné à recenser toutes les verrières de protection sur le territoire français et à créer des outils de recensement et de conseil à la mise en œuvre. Ce projet a déjà permis de mettre en lumière deux cent quatorze édifices protégés dont les vitraux pourront être transmis dans toute leur intégrité aux générations futures. Ce chiffre, qui ne cesse d’augmenter au fil du recensement, permet de mettre en valeur l’action du ministère de la Culture pour la conservation des vitraux.

 

    Les verrières de protection en Centre-Val-de-Loire

Le Centre-Val-de-Loire est un territoire de vitrail, connu pour les vitraux des cathédrales de Chartres, Bourges, Tours ou Orléans. Si le « bleu de Chartres » et le « rouge de Bourges » sont de notoriété publique, les verrières de protection qui les protègent le sont moins.

Elles ont été introduites dans les chantiers des cathédrales assez tôt – la plus ancienne en Centre-Val-de-Loire date de 1989 et se trouve sur la cathédrale Notre-Dame de Chartres – grâce notamment à l’implication et l’expertise de l’Etat et du LRMH.

La démocratisation de cette pratique a entrainé un véritable engouement pour cette méthode de conservation préventive et les collectivités locales font désormais appel à des maitre-verriers pour poser des verrières de protection sur des édifices plus petits comme :

  • l’église Saint-Pierre de Chartres (28, Eure-et-Loir) : ensemble des baies du triforium du XIIIe siècle protégées par une verrière en verre thermoformé
  • l’église Saint-Pierre de Marçay (37, Indre-et-Loire) : ensemble des baies du chœur (vitraux du XVIe siècle) protégées par une verrières en verre blanc incolore
  • l’église Sainte-Madeleine de Mézières-en-Brenne (36, Indre) : baies 0 à 9 protégées par une verrière en verre thermoformé
  • l’église Saint-Germain de Sully-sur-Loire (45, Loiret)

Les poses se font le plus souvent en complément de chantiers de restauration des vitraux, ce qui permet de profiter d’une même dépose pour réaliser deux actions et ainsi limiter le nombre de manipulations.

 

   Les cathédrales de Chartres et de Bourges : laboratoire d’expérimentation

   Cathédrale Notre-Dame de Chartres

La cathédrale Notre-Dame de Chartres a connu trente chantiers[1] de pose depuis 1995. Seules les baies basses 35 à 48, celles des bas-côtés de la nef et des retours sur le transept, qui furent les premières restaurées, n’ont pas bénéficié de verrières de protection. Le procédé était alors rarement utilisé en France. Elles en bénéficieront lors d’une prochaine campagne de restauration.

Pour ce qui est des campagnes de restauration suivantes, elles furent découpées comme suit et avec les techniques suivantes[2] :

  • 1989 : baie 142, verre blanc incolore
  • 1995-2006 : baies 0 à 30 (baies du niveau inférieur du chœur), verre thermoformé
  • 2006-2013 : baies 100 à 120 (baies du niveau supérieur du chœur et baies est des transepts), verre thermoformé
  • 2011 : baies 49, 50 et 51 (travée ouest, façade de la cathédrale), verre thermoformé
  • 2014-2016 : baies 120 à 140 (baies du niveau supérieur du transept et de la nef), verre thermoformé

Ces campagnes de pose ont été réalisées par différents ateliers mais avec un choix uniforme du verre thermoformé pour garder un effet d’ensemble cohérent.

Depuis 1995, le grand chantier de restauration des vitraux de la cathédrale a permis de protéger quasiment l’intégralité des vitraux avec des verrières de protection et de faire de la cathédrale de Chartres une vitrine de cette technique de conservation préventive des vitraux in situ.

   Cathédrale Saint-Étienne de Bourges

La cathédrale Saint-Étienne de Bourges a quant à elle connu cinq chantiers de pose depuis 1995, qui ont été détaillés comme suit[3] : 

  • 1995-1997 : chapelle Pierre Copin et baie 13 (niveau inférieur des baies du chœur), verre thermoformé
  • 2002 : baies 212 à 214 (baies du niveau supérieur sud de la nef), verre thermoformé
  • 2004 : baies 216 à 222 (baies du niveau supérieur sud de la nef), verre thermoformé
  • 2005 : baies 224 à 228 (baies du niveau supérieur sud de la nef), verre thermoformé
  • En cours : baies du niveau supérieur nord de la nef à l’occasion d’une opération de restauration

Comme à Notre-Dame de Chartres, le choix a été fait d’utiliser du verre thermoformé.

En janvier 2019, à l’occasion d’une visite du chantier de restauration de la cathédrale, les agents du pôle scientifique vitrail du LRMH ont pu à nouveau observer les verrières de protection posées presque 20 ans auparavant. Ce recul suffisant a permis de vérifier et estimer la durabilité et la longévité des verrières de protection sur cet édifice.

Les cathédrales Notre-Dame de Chartres et Saint-Étienne de Bourges sont des pionnières de la démocratisation des verrières de protection. À la fois lieux emblématiques de la collaboration entre les différents partenaires du Ministère de la Culture et vitrines de démonstration, elles sont les ambassadrices d’une généralisation de l’emploi de cette technique de protection des vitraux.            


[1] Pallot-Frossard Isabelle, « Petite histoire des verrières de protection », Monumental, 2004, n°1, p. 90- 100.

[2] Lautier Claudine, « Restaurations récentes à la cathédrale de Chartres et nouvelles recherches », Bulletin monumental, Paris, Société française d’archéologie, t. 169-1, 2011, p. 3-11.

[3] Ces informations ont été gracieusement données par Laurence Cuzange, maître-verrier à l’atelier Debitus.

 

Bibliographie succincte :

Etcheverry Marie-Pierre, « VIDRIO, un programme européen de conservation des vitraux, 2002-2005 », Monumental, 2004, n°1, p. 100.

Pallot-Frossard Isabelle, « Petite histoire des verrières de protection », Monumental, 2004, n°1, p. 90- 100.

Manuel de conservation, restauration et création de vitraux [en ligne], sous la dir. d’Isabelle Pallot-Frossard, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, 2006 [https://infovitrail.com/pdf/manuel-conservation-restauration-vitrail.pdf].

Pallot-Frossard Isabelle, et al., « Les conclusions du programme européen Vidrio sur la protection des vitraux par verrière extérieur », Monumental, 2007, n°2, p. 113-123.

Lautier Claudine, « Restaurations récentes à la cathédrale de Chartres et nouvelles recherches », Bulletin monumental, t. 169-1, 2011, p. 3-11.

Rellier Adèle,  Les verrières de protections. Un exemple de conservation préventive appliquée aux monuments historiques, mémoire de Master 2 sous la dir. de Florence Bertin et Claudine Loisel, Paris, École du Louvre, [2018].

Loisel Claudine, Trichereau Barbara, « Research applied to the conservation-restoration of stained-glass windows : leading role of the LRMH », Glass atmospheric alteration. Cultural heritage, industrial and nuclear glasses, sous la dir. d’Isabelle Biron, Fanny Alloteau et Patrice Lehuédé, Actes du premier symposium international sur l’altération du verre conservé en atmosphère, Paris, Éditions Herman, 2019, p. 141-150.

Loisel Claudine, Trichereau Barbara et Rellier Adèle, « Trois techniques de protection pour les vitraux », 1970-2020. Le Laboratoire de recherche des monuments historiques : un demi-siècle au service du patrimoine, Paris, Beaux-Arts Éditions, 2020, p. 36-37.


Pour citer cet article

Référence électronique

Adèle, Rellier, "Adèle Rellier : Les verrières de protection : une méthode efficace et durable de conservation préventive des vitraux in situ", Portail-CESR Arviva Art de la Renaissance en Val de Loire, [en ligne], 2022, https://arviva.univ-tours.fr/projets/publications/a-la-loupe/6_adele_rellier_les_verrieres_de_protection_une_methode_efficace_et_durable_de_conservation_preventive_des_vitraux_in_situ

Publié le 30/09/2022 par Aurelia Cohendy