Art de la Renaissance en Val de Loire

inventaire, valorisation et analyse

Nicolas Asseray : Le gisant de Jeanne de Montejean de la collégiale Saint-Michel-et-Saint-Pierre de Bueil.

Nicolas Asseray, Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance (CESR)

Conservé à Bueil-en-Touraine, le gisant de Jeanne de Montejean repose encore aujourd’hui dans le lieu pour lequel il a été prévu dès sa création, l’église collégiale Saint-Michel-et-Saint-Pierre. Celle-ci a été fondée par les seigneurs de Bueil à la fin du XIVe siècle dans l’optique d’y établir une nécropole familiale. Les travaux se prolongèrent durant tout le XVe siècle et ne s’achevèrent qu’en 1552. Bien que son tombeau ait été détruit en 1793, le gisant a été retrouvé intact et en bon état de conservation dans le caveau de l’église lors de fouilles archéologiques réalisées en novembre 1868. Il est désormais présenté sur un socle, exécuté lors des travaux de restauration de 1883, et abrité dans un enfeu percé dans le mur méridional de la nef.

L’ensemble de la sculpture a été taillé dans une pierre blanche, à l’exception de la tête et des mains qui furent réalisées en marbre. De nombreuses traces de polychromie sont visibles dans les plis de la robe, sur les bras ainsi que sur la tête d’un des chiens situés aux pieds du gisant. L’absence apparente de traces de réfection et l’homogénéité de l’œuvre s’accordent avec l’historiographie qui laisse entendre qu’elle n’a pas fait l’objet d’importantes restaurations en 1883. L’identification du gisant repose essentiellement sur les symboles héraldiques qui ornent la robe et qui sont aux armes des Bueil à gauche (d'azur au croissant d'argent accompagné de six croisettes d'or, trois rangées en chef et trois rangées en pointe) et de Montejean à droite (d'or fretté de gueules). Ces derniers, à l’origine rehaussés de rouge, de bleu et de jaune, permettent de reconnaître Jeanne de Montejean, la première épouse de Jean V de Bueil (1406-1477), comte de Sancerre et commanditaire du tombeau après la mort de sa femme en 1456.

Plusieurs éléments appartenant à l’origine au tombeau de Jeanne de Montejean ont pu être retrouvés. Il en est ainsi de deux blasons aux armes de Montejean et de Bueil qui ornent les extrémités du tombeau de Martine Turpin – également conservé dans la collégiale Saint-Michel-et-Saint-Pierre – et sur lequel ils auraient été placés en 1850 à la suite d’une confusion des restaurateurs. L’historiographie s’accorde aussi pour attribuer le dais qui couvre la tête du gisant de Martine Turpin au tombeau de Jeanne de Montejean, ainsi que les trois anges portant un écu mi-parti aux armes de Montejean et de Bueil conservés au musée des Beaux-Arts de Tours et datés entre 1460 et 1470 par J.M. Guillouët dans le catalogue Tours 1500 (p. 52).

À l’instar du gisant d’Agnès Sorel, celui de Jeanne de Montejean est vêtu d’habits qui correspondent à la mode de la seconde moitié du XVe siècle avec un surcot bordé d’hermine porté sur une longue robe au décolleté rectangulaire. Les attitudes animées des chiens sur lesquels reposent ses pieds et la complexité des plis à la base de la robe signent la postériorité du gisant de Jeanne de Montejean par rapport à ceux de Pierre de Bueil et de Marguerite de la Chaussée, également conservés dans la collégiale de Bueil-en-Touraine et réalisés dans la première moitié du XVe siècle. La sérénité du visage de Jeanne de Montejean, son ovale régulier, son grand front et ses yeux en amande sont tant d’éléments caractéristiques de la sculpture de la seconde moitié du XVe siècle.

Publié le 04/10/2022 par Pascale Charron