Art de la Renaissance en Val de Loire

inventaire, valorisation et analyse

David Rivaud : Des sources documentaires pour une histoire des arts de la Renaissance en Touraine

David Rivaud, Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance (CESR)

  Bâtie sur l’objet, sur son analyse stylistique et diachronique, l’histoire de l’art n’en n’est pas moins une histoire qui se saisit des traces documentaires et archivistiques. Troisième “entrée” du projet ARVIVA, les sources d’archives vont au-delà de la simple documentation chronologique pour des œuvres qui se suffiraient presque à elles-mêmes.

La fin du Moyen Âge et plus encore la Renaissance correspondent en Touraine, comme dans une bonne partie de l’espace français, à une explosion documentaire, liée autant à de nouvelles conditions de conservation (création et organisation de véritables trésors d’archives) qu’à l’émergence d’institutions qui produisent une parole publique et doivent en conserver une mémoire officielle. La Touraine n’est pas en reste, loin de là. Le corps de ville de Tours, officialisé en commune par Louis XI en 1462, génère depuis 1358 des séries documentaires de plus en plus complètes (registres de comptes, puis de délibérations). Dans le détail des débats municipaux ou des quittances de paiement, ces séries dévoilent artistes et artisans qui reçoivent les commandes officielles et les exécutent. Mieux encore, ils offrent parfois de véritables descriptions méticuleuses de certaines pièces, notamment lorsqu’il s’agit d’accueillir un souverain, de fondre une médaille, de construire des théâtres, et pour cela de mobiliser tout ce que la ville compte comme artisans de qualité. A cette documentation issue de l’autorité publique s’ajoute à partir de 1460 le fonds grandissant du notariat. Celui-ci projette le chercheur dans la sphère individuelle de l’acte privé, des relations parfois intimes, qui laissent apparaître au détour d’actes variés la vie grouillante des relations commerciales dans une cité qui peut se dire — encore jusqu’au milieu du XVIe siècle— au cœur de la France royale. Sur les vingt-deux notaires enregistrés lorsque la corporation est créée en 1512 (et encore attestés en 1562), les archives départementales conservent les dépôts d’une bonne douzaine de ces études pour la première moitié du XVIe siècle, ce qui offre une documentation substantielle, même si elle est largement parcellaire. Aux séries documentaires des cinq études notariales conservées avant 1500, et dont les actes ont été largement parcourus, il s’agit de dizaines de milliers de pages qui s’ajoutent pour le XVIe siècle, pages qui restent largement à découvrir.

Et les découvertes s’avèrent nombreuses, ce qui n’est pas pour surprendre tous les chercheurs qui ont l’habitude de fréquenter ce type de sources. Bien souvent cette approche archivistique ouvre sur une histoire de l’art sans l’objet. Tapis achetés par le corps de ville pour mettre sur la table des conseils, robes brodées offertes aux clercs ou sergents de la ville, statues placées aux différents portes de la cité, sans parler des décors éphémères réalisés pour les entrées royales, ou tout simplement des commandes privées, autant d'éléments d’embellissement artistiques de la ville, voire de simple piété, et d’objets qui ont aujourd’hui totalement disparu des collections des grands musées régionaux ou nationaux. Les archives en gardent seules de précieuses traces et montrent l’importance et la grande variété de la production. Elles donnent aussi de (précieux éléments : de précieuses informations ?) sur les commanditaires de ces œuvres : sur les quelques individus qui, tels les très riches officiers de l’Argenterie royale résidant à Tours, ont les moyens de financer une production de luxe ; sur les bourgeois qui à la tête de la mairie et du conseil municipal s’adressent à Fouquet, à Colombe, aux Juste, ou aux Vallence pour les réalisations les plus importantes. Elles permettent d’établir tout un réseau de relations dans une sphère sociale de première importance, tant localement que dans la vie du royaume. Mais plus encore, elles permettent de documenter la vie de ces artistes-artisans. De savoir par exemple que Dominique de Cortone (bras droit de Léonard de Vinci à Amboise) s’installe Rue Neuve à Tours en 1507 comme simple menuisier ou que Jean Bourdichon, peintre officiel du roi, réside rue de la Serpe, possède des terres du coté de Fondettes (d’où il peint la première vue de Tours), mais travaille aussi à l’aménagement du réseau hydraulique de la ville... Ainsi de nombreux artistes peuvent être localisés dans la ville, documentés au sein de leur milieu social ou de leurs relations professionnelles, familiales, voire amicales. C’est tout un groupe, une ou plusieurs sociabilités qui se dessinent alors.

Enfin, et pourrait-on dire presque exceptionnellement, l’archive et l’objet se retrouvent parfois. Ainsi en est-il de la nef dite de sainte Ursule, conservée aujourd’hui à Reims (Palais du Tau), nef achetée et sans doute réalisée à Tours, par la municipalité pour donner en cadeau à Anne de Bretagne qui fait son entrée en 1501 en tant que reine de France. Ainsi en est-il aussi de la médaille créée en la même occasion par Michel Colombe. Les comptes municipaux permettent dans ces deux cas d’attribuer précisément les pièces et de préciser les montants engagés et les matériaux utilisés. Il en est de même pour les contrats notariés qui témoignent de la construction de la charpente de Chambord dans les faubourgs de la ville de Tours (paroisse Saint-Pierre-des-Corps) puis de leur acheminement, par la Loire, jusqu’au château.

Autant d’éléments qui montrent que les fonds d’archives régionaux restent encore largement à parcourir. Le chercheur, même si il peut être découragé par la masse d’information à traiter n’est cependant pas à l’abri... d’une bonne découverte ! 

Publié le 30/09/2022 par